Pourquoi courir ?
La philosophe et directrice de recherche à l'université Bordeaux-Montaigne se livre dans un entretien pour la chaîne YouTube Thinkerview. Son dernier ouvrage « Il faut s'adapter » - Sur un nouvel impératif politique (Gallimard), elle cherche la racine de ce sentiment diffus d'un retard généralisé, l’origine de cette injonction à toujours s'adapter à un monde complexe, accéléré. Après quoi l’espèce humaine court-elle ainsi ? D'où vient ce récit qui façonne notre avenir commun ? Nous avons essayé de résumer cet entretien passionnant pour vous.
La crise de 1929, fondatrice
Remontons un peu le temps et souvenons-nous. Pour Barbara Stiegler c’est donc l’américain Walter Lippmann qui dans les années 1930 a réfléchi à la manière dont les humains pourraient sortir de leur stase, de leur conservatisme. La brutalité de la crise économique de 1929 marque les corps et les esprits. Son objectif est de remédier à une défaillance structurelle, cognitive, psychique et affective de la nature humaine : comment faire pour que les populations épousent l’accélération du temps et l’effacement des frontières nés avec la révolution industrielle, et s’adaptent ainsi à un environnement changeant, impératif déduit des travaux de Darwin.
Pour Lippmann, les masses humaines seules, assemblage hétéroclite d’atomes dispersés, ne peuvent pas s’accorder sur un avenir commun. Le danger qui nous guette est alors le repli sur soi et le fascisme. Tout sauf ça, pour ce père fondateur du néolibéralisme ! Il faut alors d’une part créer une direction unique à l’humanité, celle d’un monde mondialisé en constante accélération et d’autre part, fabriquer le consentement des populations pour qu’elles adoptent cette direction. Un disciple de Lippmann, Steve Bernays se fera fort d’inventer le marketing moderne, en s’inspirant des méthodes de la propagande. Voir le documentaire Propaganda d’Arte sur le bonhomme.
La question existentielle
En somme pour Barbara Stiegler, alors que Dieu était mort pour Nietzsche, le discours néolibéral s’est engouffré dans la brèche pour combler le vide existentiel de l’humanité. Par une soif d'accumulation matérielle, une promesse d’abondance, une fuite en avant devant le mener au bonheur, au salut.
Trouverons-nous quelque part le courage pour regarder en face cette peur du vide, du manque, tapie au fond de nos êtres et qui nous handicape ? Ce difficile chemin intérieur est peut-être le prix à payer pour nous libérer de l’emprise de discours dualistes qui réduisent nos choix à de stériles oppositions comme capitalisme/populisme, nature/culture ou encore science/conscience.
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